Les clés de la guérison des traumatismes

Michel Schittecatte, psychiatre et formateur à la Somatic Experiencing, présente les ingrédients fondamentaux qui ont permis à Peter Levine d’élaborer cette méthode révolutionnaire de guérison des traumatismes émotionnels. Je le partage ici en résumé car cette approche remet en cause certains postulats des formes habituelles de thérapie et soutien psychologique par la parole (psychanalytique ou autres), à savoir :

  • « On ne peut pas guérir les traumatismes, on peut seulement apprendre à mieux vivre avec. »
  • « Le travail thérapeutique consiste à découvrir et à verbaliser des événements de notre passé (souvent refoulés) qui sont la cause de nos troubles. »

Voici les principaux points de l’article :

– Déjà au 19° siècle, le psychiatre français Pierre Janet avait décrit le traumatisme psychologique comme une réalité du corps tout entier, et pas seulement mentale.

– La Somatic Experiencing est une synthèse qui s’appuie sur plusieurs modèles antérieurs, issus de la physiologie, de l’éthologie, de la psychologie humaniste psychodynamique. Elle a pour objectif la résolution des traumatismes.

– Le créateur de cette méthode, Peter Levine, met en évidence que « les symptômes « protéiformes » du traumatisme chez l’homme sont dus à une réaction physiologique de figement de l’organisme tout entier (corps / émotion / esprit) qui se prolonge au-delà de la période où elle a été nécessaire. » Il s’agit donc de la manifestation d’un instinct de survie, qui reste actif malgré la disparition du danger initial.

– Par conséquent, il est possible de guérir d’un traumatisme en permettant « l’achèvement de cette réponse inachevée. »  : « la sortie du figement est une réponse spontanée (ou instinctuelle) qui ne demande qu’à se produire si les conditions favorables sont mises en place. » Cela signifie que la guérison ne peut pas résulter d’un effort volontaire du thérapeute ou du client, mais d’une collaboration dans l’ici et maintenant avec l’intelligence du corps (le système nerveux autonome).

« Pour accéder au moteur du changement, qui ne dépend pas de notre volonté, nous devons passer, non pas par le « corps », mais par la «
conscience corporelle »
 »
L’attention portée à nos sensations corporelles globales est le seul canal de connexion possible avec les instincts de survie qui causent les symptômes traumatiques. Cette pratique a été reprise par Peter Levine du Focusing.

Revivre la situation d’origine est inutile, car le traumatisme n’est pas dans l’événement déclencheur passé. Cela peut même conduire à aggraver le traumatisme. Il est vain de lutter contre des mécanismes de défense, ils sont là pour assurer notre survie. La stratégie consiste à venir « désactiver » petit à petit le traumatisme, en renforçant les ressources psychologiques, et en évitant ce qui peut nous submerger.

Michel Schittecatte conclut :  « Je dis souvent que la SE est « l’école primaire ou fondamentale » de la compréhension et de la résolution du trauma. Elle apporte les notes de base, les gammes, à partir desquelles toutes les musiques thérapeutiques les plus sophistiquées peuvent ensuite être développées. »

Le texte complet est accessible via la riche page Ressources du Centre d’Étude et de Formation à la Résolution du Trauma (CEFoRT). Il a été diffusé dans la 8° newsletter du CEForT (hiver 2023).

Cette page mentionne aussi d’autres approches thérapeutiques apparentées telle que le NARM (Modèle relationnel neuro-affectif) de Larry Heller : ce dernier a approfondi le phénomène plus complexe des traumatismes du développement, c’est-à-dire liés aux relations d’attachement avec les personnes qui nous ont élevées : ces traumatismes ont affecté la construction de notre identité, ils sont donc plus longs et délicats à guérir que des traumatismes causés par des incidents ponctuels.

Et je ne peux pas terminer cette rapide présentation des clés de la guérison des traumatismes sans mentionner le travail essentiel d’Alice Miller sur la violence éducative. Un frein important au développement des connaissances sur le traumatisme et sa guérison vient du tabou culturel sur les effets de la domination des adultes sur les enfants.

A l’issue de sa carrière de psychanalyste, Alice Miller en a pris conscience : Freud avait fait le lien dans une étude publiée en 1896 entre les troubles psychiques de ses patients et les abus sexuels qu’ils et elles avaient tous subi, enfants, dans leur famille. Ces faits ont émergé lors de la cure analytique. Mais cette « théorie du traumatisme » constituait une telle remise en question de l’ordre social et moral de l’époque, qu’il a été contraint d’inventer une « théorie des pulsions » pour mettre en doute la réalité de ces incestes. Cette épisode qui donna naissance au complexe d’œdipe, promis à un grand succès, est magnifiquement relaté dans un chapitre de L’enfant sous terreur (Aubier, 1986) intitulé « La solitude du découvreur ».

La conséquence de ce refoulement collectif des traumatismes de l’enfance pour les clients a été redoutable : leurs thérapeutes ont pris le parti des parents contre les enfants qu’ils ont été, et ont donc inconsciemment essayé d’ « éduquer » leurs clients.

A TERMINER